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Perdu
mardi 19 mai 2009, par
Se mettre en situation d’étranger, ne plus parler, ne plus comprendre la langue, à l’exception de quelques mots, plongée dans un univers de langage plus opaque encore que d’habitude. Quelques mots flottent à la surface auxquels on essaie à toute force de se rattraper, de se raccrocher, pour ne pas être emporté par la vague déferlante de la phrase. Mot, réduit à la syllabe, qui s’évanouit aussitôt, qu’on ne reverra pas, autour duquel on s’efforce d’organiser les quelques rares phonèmes qu’on est parvenu à détacher pour soi. Bientôt ce n’est plus même un mot, plus même une syllabe, c’est un son, récurrent, qui trouble plus qu’il n’aide. S’agripper à lui, qu’on croit connaître, n’est qu’un moyen plus sûr encore de se perdre, fait oublier le reste, la syntaxe qu’on pourrait deviner.
Retrouver ce bercement, ce débit monotone et coloré des syllabes et des mots, lorsqu’ils n’ont aucun sens — les yeux se perdent dans le vague, on entre dans un monde parallèle, un monde à côté du langage, la tête vide, incapable à son tour de former une phrase, dans quelque langue que ce soit.
On entend, on écoute, on se concentre, ce n’est que pour mieux perdre le fil.
Même plus tard, avec la maîtrise et l’aisance, on pourra toujours se replonger dans cet état second de distance au verbe, état second qui permet — dans quelque rare délire onirique — de jouer avec ces mots qui, sans perdre leurs sens ont néanmoins perdu une grande partie de leurs forces.
On peut aussi lire vite, le plus vite possible, à voix haute ou basse, en ne respectant que le rythme, le tempo qu’on s’impose, et non la courbe du phrasé. S’essouffler dans cette course en avant. Et tenter d’oublier le sens pour se concentrer sur les sons. La musique seule demeure, compréhensible seulement pour cette partie secrète et bien cachée de l’inconscient.
Un compositeur — Beckett...