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Le Lac

À Sa.B.

dimanche 28 février 2010, par Jérémie Szpirglas

Texte inachevé, inabouti, dont je ne suis pas encore satisfait, qui trouve sa place dans mes variations érotiques sur les cinq sens, ici, le toucher...

Cet été, souviens-toi, c’était la canicule. Et ça nous faisait grand effet. — Été passé sur les routes, à chercher l’ombre et la fraicheur, illusoire. Succession de chambres de lits, de couches indistinctes. Été qui n’est que souvenir de ton corps, torpeur assommante et moite, stupeur humide et sensualité hallucinée de somnambule.

Draps froissés, jetés bas. Paupières entrouvertes, le sommeil à portée de main, et ton corps nu, tantalisateur à deux doigts de ma bouche.

Le temps pédale, gélatineux, dans l’air capiteux et pesant, avec une lenteur exaspérante.

Le vent qui rythmait les journées s’est retiré — nature morte inanimée. Il n’y a plus ni nuit ni matinée. Tout n’est plus que longue après-midi — après-midi qui n’en finit pas de nous écraser, et pèse sur l’ombre de tes cheveux en désordre.

Tout est au ralenti, les mouvements sont lents et las, suspendus, vibrants, tels une fresque Sixtine. Les yeux mi-clos, les mains lourdes, les doigts gourds que l’on sent gonflés de chaleur, pulsation sourde aux tempes, lourdeur paresseuse des corps qui soudain se noient. Nos peaux qui n’en sont plus, chargées d’humidité et de senteurs fauves.

Corps en sommeil, corps en repos — corps en répit, corps en dédie. La pénombre est chargée, lumineuse et bourdonnante, la chaleur est partout.

Ma main se hasarde vers ta cuisse, mes doigts glissent, gravissent les reliefs, cherchent sans savoir quoi, dirigés vers ton sexe par un désir primordiale, machinal. Il fait trop chaud pour musarder en chemin, ta peau a déjà son compte, ton sexe seul a soif.

Un film translucide fait briller ta peau.

Bientôt tu soupires, le désir ne t’a pas quittée, tu n’as pas cessé de guetter la caresse — appel silencieux par-dessus la torpeur, au-delà l’immobilité lénifiante, la paralysie ambiante.

Les dix prochains paragraphes sont à retravailler et à étoffer...

Tu attends mes doigts. Tu les veux autant que tu les crains. Tu retiens ton souffle, et l’assoupissement qui s’avance.

Il fait trop chaud pour jouer encore — mais la chaleur éveille tes sens qui ne demandent qu’à être nourris à nouveau.

Comme à regret, je soulève mon corps qui semble peser des tonnes, je me rapproche de ton corps vibrant en attente. Ta peau paraît presque fraîche contre la mienne. Tu m’offres ta bouche, d’une fraîcheur absolue — avec toi, j’ai l’amour en même temps que l’eau fraîche.

Sans le vouloir, tu tends le ventre, tu ondules les cuisses pour venir à la rencontre de ma main et t’enrouler autour de mon bras. Je laisse un long moment mes doigts sur ton sexe. Je sens tes lèvres gonflées qui frissonnent sourdement entre mes phalanges. Tu respires plus fort, ma main s’aventure, plonge en toi, ne trouve nulle résistance.

L’air tropical se mêle à nos haleines, s’insinue dans nos désirs, réduit nos deux corps à deux sexes — tout mon corps devient verge, je voudrais te pénétrer toute entière.

Et ta peau m’accueille avec la même avidité que ton sexe.

Bref soulagement. Bref soulagement de mon sexe qui glisse en toi, reprends sa place avec paresse. Mais ce n’est bientôt plus assez et, comme à regret, mon visage perdu dans tes cheveux, tu commences un va-et-vient retenu — mouvements larges et las, paresseux et lents. Je ne suis plus, je suis en toi, je suis bien.

Il manque quelque chose ici, il me semble…

Parfois j’interromps l’inlassable flux et reflux de nos nuits, je suspends un instant l’océan de nos délices, j’émerge et je caresse tes courbes de mon sexe luisant de toi. Ton ventre qui se soulève, tes seins dont je sens les tétons se presser contre ma verge. Ta peau réagit à son contact, se convulse en un orgasme nomade.

Exténuée, tu te laisses faire, tu gis, ivre de jouissance — cette image d’abandon lascif, d’air épais et lourd chargé de senteurs charnelles, de suspension du temps, d’espace intime réduit comme peau de chagrin, fermé d’une brume opaque et capiteuse, cette image que fera toujours rejaillir pour moi ces trois petits mots luxe calme volupté — ivre, les yeux clos, plongée en cette transe singulière d’oubli de soi, d’oubli de conscience. À mon sexe s’ajoute bientôt ma langue — tu gémis (ou gémis-tu vraiment, puis-je jamais savoir ce qu’entendent mes oreilles, puis-je mettre un nom dessus ?), n’est-on pas déjà passé par là ? Oui, peut-être, qui sait, on a déjà oublié, qu’importe, reprend-moi, non, c’est de trop, non, assez de tout ça, j’ai mal de tant de volupté, de tant de violence reprend-moi, ne t’éloigne pas, assez de jouissance, reprend-moi, je me replonge, avide, familier, retrouve mon antre. N’y a plus que du lisse, du soyeux, nos deux corps, nos deux odeurs qui se mêlent dans la chaleur.

Nous baignons de stupeur, nous baignons de sueur, le corps entier transformé en sexe ouvert, mes doigts, mes bras, ma poitrine, sont des verges et je veux t’en posséder, te pénétrer tout entière, ton ventre, tes seins, tes fesses, ton dos si lisse, si long, sinueux dans tes spasmes, puis si long, si abandonné, si détendu dans mes bras lorsqu’enfin la jouissance nous laisse quelque répit, quelques instants, imperceptibles et non mesurables, de repos.

Et des nuits entières des jours entiers ainsi où l’on ne saurait distinguer le sommeil de l’amour, où il n’est plus question de délassement, plus question de paresse — que de langueur. Tour à tour nos chambres successives, interchangeables nous ont connus nus l’un à l’autre.

Dans la pénombre étouffante, je devine ce grain de beauté au coin de ton œil droit, j’entends mes cheveux bruisser sous tes doigts. Je sens la chatouille des tiens au creux de ma paume. Je respire ta beauté et ton odeur. Les yeux fermés, tout contre toi, je vois le bleu de tes yeux, tes sourires et tes moues, je vois la petite tache sur ton pied mignon, je sens tes caresses suivre la courbe de mes épaules, je sens tes hanches, je sens tes fesses.

On se réveille encore emboités l’un à l’autre, et mon sexe en toi trouve un second souffle. Machinalement, comme plongés dans une transe hypnotique, on retrouve les gestes naturels, mouvements d’abord imperceptibles, palpitations internes, discrètes, tes muscles se contractent autour de ma verge, la pressent et l’enserrent, la tiennent prisonnière comme pour l’empêcher de s’échapper. Minuscules frottements, battements de sang invisibles.

Tu sens ce plaisir qui ne t’a pas quittée monter à nouveau, tu le repousses au loin, je crois entendre quelque non dans tes gémissements. Douleur délicate, fuite exquise, tentation ultime, à laquelle tu n’échapperas pas. Mouvement d’une lenteur saccadée, jouissance exaspérante.

Il n’est plus besoin de caresse. Ma main posée sur ton sein suffit à ton soupir. Ta peau luisante qui exige mes attentions, l’air déplacé par un seul de tes mouvements, suffisent à m’exciter.

Assommés de soleil, effondrés nus côte à côte sur le lit. Je sens ta présence à mes côtés, l’air vibre à la surface de ta peau — air tremblant et réchauffé, sans espoir d’orage qui troublerait la vue et les sens.
Tu te voudrais plus avare de ton plaisir.

Tes non — ton nom — pas d’encouragement, une invite cryptée de ton corps qui se tend, comme pour me dire convaincs moi un peu, encore un peu, mieux, encore. Nous sommes las, tu en joues, tu m’échappes, tu me tentes, te caches sans bouger, l’air tremblant à la surface de ta peau est la seule muleta que tu aies besoin d’offrir à mes sens pour m’aiguillonner, m’aguicher, m’exciter, tu n’as de cesse de jouer à cache-cache avec notre désir.

Tu ne t’en lasses pas, tu ne le comprends plus — comme cette interruption de la pensée devant un feu de bois, devant la mer, devant les vagues. Le plaisir réalimente chaque fois ton désir, sensation nouvelle, inattendue. Désir nourri de plaisir, interminable, inaccessible.

*

Je ne sais quand ni comment ils sont apparus. Tout d’un coup, ta langue est glacée sur mon ventre, sur ma verge. Tu fais glisser un glaçon entre tes lèvres, entre les miennes, puis un second, sur mon ventre. Le premier contact est déplaisant, presque désagréable. Si j’en avais l’énergie, j’aurais un mouvement de recul. Au lieu de quoi, je te laisse faire. J’attends. Puis je me fais à cette fraicheur, je subis tes caresses, je souffre de les attendre. On sait que ça arrive, que ça va arriver, flash impromptu, inattendu. On sait que ça y est — on ne sait rien. Ça ne suffit pas. On veut savoir où quoi.

Je frissonne, j’ai presque froid. Tu remontes sur moi, tu prends mon sexe raide entre tes doigts, tu le guides en toi, tu glisses un nouveau glaçon entre mes lèvres et tu m’offres tes seins.

Je ferme les yeux, j’entends ton gémissement rauque à mon oreille, ton souffle violent, haletant, ton corps se détend dans un dernier spasme.

Je fonds en toi.

Et j’enchaîne.

*

Noir

*

Cherchant la fraicheur vers les cimes, nous voilà près d’un lac d’altitude. Le soleil, plus aveuglant que sur la plaine, pèse moins sur nos sens, qu’il libère du poids de sa folie.

Nous sommes là, immobiles, dans le confort du vent et de la lumière douce de cette après midi déclinante qui n’en finit pas de. Côte à côte, nus après le bain. Le vent se fait plus doux et plus caressant à la fois. Il finit de nous sécher. Ta peau luit, mordorée au soleil. Je te regarde, je te contemple, belle, épanouie dans ta détente. Mais bientôt, nous ne sommes plus seuls, la brise prend part à notre silence. Je sens tes yeux sur moi. Je vois tes seins se tendre, tes tétons se dresser sous sa caresse. Délice suspendu de mon sexe lentement excité. Mon désir croît, calme et certain.

Ton regard effleure mon sexe. Tu es comme intriguée, fascinée, par sa métamorphose. Tu prends de longues respirations qui offrent ta poitrine au vent. J’aperçois l’humidité qui suinte entre tes cuisses, jouant de reflets dans la lumière épaisse et enveloppante. Nos regards se croisent, souriants, complices d’on ne sait quoi, d’on ne sait pas encore. Nous sommes à un mètre l’un de l’autre, et c’est comme si ta main couvait ma verge. Sans un mot, le désir s’impose. Vent et soleil nous magnétisent, nous poussent l’un vers l’autre, pressants et discrets.

Brisant l’immobilité toute apparente du tableau, tu te penches sur moi. Délicate, tu poses quelques légers baisers sur mon sexe. D’un petit geste, tu rattrapes quelques cheveux échappés de ta chevelure. Ta main se pose sur ma cuisse. Ta langue mutine titille mon gland. De longs instants, il n’y a plus que ça : ta main chaude sur ma cuisse, et ta langue, qui libère le frisson viscéral aux aguets. Ma queue frémit comme un roseau souple dans le courant.

Tu entrouvres ta bouche sur mon sexe, tu refermes l’anneau de tes lèvres autour de mon gland — je te sens qui descends, chaleur humide. Ta langue suit les aspérités. Je suis sûr d’avoir gémi, mais je ne m’en souviens plus précisément. Mes mains caressent tes cheveux, glissent jusqu’à tes seins. Tu te redresses et c’est le premier baiser depuis les joies du bain.

Nos bouches, ta main gauche sur ma verge, qui l’étire avec lenteur et détermination, ma main droite sur ton ventre, descendant jusqu’à la chaleur de ton clitoris excité, jusqu’aux délices sucrées de ton sexe. Pendant de longues secondes encore, c’est tout. On s’en contente.

Nul autre contact, nulle autre caresse, sinon celles, insistantes et persistantes, de la brise et du soleil.

Puis tu te lèves et, me prenant la main, m’entraînes dans les herbes hautes qui se dressent sur la berge.

Ça pique un peu. C’est loin d’être aussi confortable que le sable, le vent et le soleil, mais tellement plus drôle !

Tu exiges que je te prenne sur le chantmps. Après t’avoir brièvement contemplée, toujours émerveillé, je me plonge en toi.

Oh ! ton soupir, tes dents qui me mordillent l’épaule, l’oreille, et, dans un baiser, font prisonnière ma lèvre.

As-tu déjà joui ? Peut-être bien. Tu souris, veux prendre le dessus. Tu veux, maligne, que je sentes moi aussi la gratouille de l’herbe dans mon dos.

Tu bouges très calmement, comme pour prolonger l’excitation du vent, réprimant avec peine des envies plus ardentes, brutales.

Des voix. Irruption dans le jeu, sursaut, petit rire. Tu te baisses soudain, te serres contre moi, de peur qu’on nous voit. Mon sexe est toujours en toi, palpitant très perceptiblement, au chaud, confortablement installé dans le fourreau doux du tien. On attend — excitation — jeu — prise au piège.

Les voix s’éloignent, nous éclatons de rire, moi toujours en toi. Nous ne finissons point car un autre groupe à son tour approche.

Le désir est si doux et si intense à la fois que peu nous importe le paroxysme.

Dans la voiture, ma main sur ta cuisse te fait soupirer. Sans te toucher davantage que ce que la bienséance permet, la tension érotique ne se relâche pas pour autant. Elle croît au contraire. Le sourire perdure, les yeux perdus dans un nuage de volupté.

Arrivés dans la chambre d’hôtel, nous ne nous touchons pas davantage. Indifférente et tentatrice, tu fais couler un bain, pour te rincer de l’eau du lac mais non pas de notre désir.

Nouvelle plongée, nouvelle humidité familière. Le jeu se poursuit longuement, lentement, sans varier le rythme quiet de l’ardent vent d’août, dont nos sens portent encore le souvenir de l’excitation première.

Dans la large baignoire, je passe ma main mouillée sur ta peau douce. Tu montes à nouveau sur moi et me reprends en toi — retenue — apesanteur de l’eau. Toujours retarder l’instant — toujours éloigner le relâchement. Nous nous levons sans nous séparer. Nul besoin de se sécher, il fait si chaud — les gouttes tracent un chemin sinueux et frais à fleur de peau, relâchant une caresse impromptue.

Sur le lit, la jouissance.


Je le mets en ligne pour m’en écarter un peu — quitte à le reprendre à nouveau dans quelques mois.