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Vendredi 29 mai

General Pause — Chapitre 14

vendredi 29 mai 2020, par Jérémie Szpirglas

Certains disent que cette curieuse maladie se serait appelée « musique ». Malgré le titre de l’opuscule que nous avons déjà mentionné (Le basson n’est pas contagieux), la « musique » serait en réalité fort contagieuse. Une véritable maladie infectieuse — on le constate particulièrement à la lecture de tous ces témoignages de crises collectives.
Mais, jusqu’à la General Pause, les crises semblaient de courte durée. On les estime à quelques minutes ou quelques heures, rarement plus. Les durées de crise les plus longues dont nous gardons des traces auraient été de l’ordre de 24h ou de quelques journées.
Jusqu’à la General Pause, encore, la contagiosité était non seulement limitée dans le temps (à la durée de la transe), mais aussi dans l’espace. On trouve quelques témoignages sporadiques d’une portée plus lointaine, mais il semble que cela ressorte davantage d’expériences auxquelles se seraient livrés des médecins spécialistes.
Cependant, de nombreux indices nous invitent à penser que, plus qu’une véritable « maladie », la musique serait en réalité, à l’origine du moins, une drogue, qui plonge ceux qui en prennent (et ils semblent nombreux à y être devenus accrocs parmi les Homo Sapiens Sapiens, parfois exposé in utero dès avant leur naissance) dans une forme de léthargie béate ou de transe décérébrée — d’où les descriptions qui en sont faites qui relèvent toutes de la psychopathologie, quand ce n’est pas carrément de la médecine d’urgence. Cette drogue « adoucirait les mœurs » — aurait-elle était synthétisée par un pouvoir désireux d’asservir sa population ? Un autre court opuscule que nous avons retrouvé, intitulé La haine de la musique, semble corroborer cette hypothèse. Le résultat n’aurait toutefois pas été à la hauteur des ambitions : trop récréatives, trop addictives, la musique n’aurait pas non plus eu tous les effets coercitifs attendus. Elle aurait en outre échappé à ses créateurs. Les populations s’en emparant et se l’appropriant, elle serait devenue d’un usage courant, perdant forcément de sa puissance de contrainte verticale. Il semble même qu’elle soit devenue au contraire un instrument de libération, d’affranchissement du pouvoir.
Pendant certaines périodes de transe, il arrivait à certains drogués de potentialiser l’effet de la « musique » au moyen d’autres drogues diverses et variées. Les artefacts à ce sujet sont hélas — et nous dirions presque « nécessairement » — difficiles à interpréter. Nous n’avons pas encore trouvé la « pierre de rosette » (invention d’Homo Sapiens Sapiens qui remonte à environ deux siècles avant la période qui nous occupe, et qui semble servir à déchiffre, à décoder des artefacts complexes) qui nous permettrait de tout déchiffrer clairement.
Le statut social de la « musique » est tout de même assez singulier au regard de celui des autres drogues. Quand la plupart des substances hallucinogènes semblent être réservés, soit à un usage sporadique, soit à des individus mis au bon de la société, la musique quant à elle semble totalement acceptée socialement, et même encouragée, même chez les plus jeunes et vulnérables, même chez les anciens cacochymes. Alors même que ses effets sont tout sauf bénins. Et si elle « [adoucirait] les mœurs » comme on lit parfois, si, sans elle, « la vie [serait] tout simplement une erreur, une fatigue, un exil », on constate aussi qu’elle encourage à des comportements sociaux qui étaient pourtant à l’époque considérés comme déviants, dérangés, ou tout du mal vus. Certains dealers — qui, contrairement à la plupart des autres drogues, étaient semble-t-il eux-mêmes accrocs — étaient ainsi à la fois adulés et conspués.
Comment pouvait-on être aussi irresponsable ? La réponse à cette question nous apporterait sans doute de précieuses informations au sujet de la General Pause.