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Sérénité
Depuis quelques jours, je suis étonné de constater chez moi l’émergence d’un sentiment inattendu, eu égard aux circonstances : la sérénité. J’ai peine me l’expliquer.
Si je suspends un instant le cours de mon quotidien, si je fais abstraction de la vie qui bouillonne dans mon immédiat voisinage, alors, évidemment, je me vois bien forcé un certain pessimisme : la situation sanitaire immédiate, l’horizon nécessairement assez éloigné d’un vaccin, le trou noir économique, et, surtout, ses conséquences socio-politiques potentiellement catastrophiques, aux multiples ramifications ( commencer par les violences, notamment raciales, qui ne manqueront sans doute pas d’exploser moyen terme, et dont je subodore que ma famille et moi-même pourrions faire les frais).
Pessimisme, donc. Si je réfléchis.
Mais lorsque je ne réfléchis pas. Ou plutôt lorsque je ne me mets pas délibérément dans l’état d’esprit de réfléchir la situation, le pessimisme laisse place une forme de fluidité rassérénante. Une aisance naviguer le quotidien. Pourtant, comme je le disais aujourd’hui même une amie, on a le sentiment de ne jamais savoir, le jour même, quelle sauce on va être mangés le lendemain ! À l’école des garçons, la crèche, et jusqu’ la boulangerie. Et pourtant, le quotidien d’aujourd’hui, quand bien même il serait très différent de celui d’hier — on l’aurait alors certainement qualifié de carrément dystopique —, lui ressemble s’y méprendre ! C’est aussi un quotidien, une normalité, laquelle j’ai le sentiment de m’adapter avec une aisance qui m’étonne moi-même. J’improvise. Je ne m’arrache pas les cheveux essayer de maîtriser ce qui n’est manifestement pas de mon ressort. Je m’abandonne au flot des jours et des événements. Je les prends comme ils viennent, je me les approprie, j’essaie d’en tirer ce que je peux en tirer, sans en attendre davantage. J’ai sans doute une chance que d’autres n’ont pas : une certaine tranquillité matérielle. Il n’empêche. J’ai le sentiment d’accoucher d’une versatilité de mon caractère dont je ne soupçonnais pas l’existence. Et, rien que ça me procure un plaisir incomparable.
N’être s »r de rien permet paradoxalement d’apprécier chaque instant de manière démultipliée.
Alors, bien s »r, cela n’enlève rien la noirceur des perspectives. Et je ne suis pas certain que ce sentiment d’aisance soit particulièrement partagé, même autour de moi — alors que, s’il était partagé, si nous avions tous, collectivement, cette plasticité organique nous plier aux cours de l’histoire tel le roseau, l’avenir serait sans aucun doute plus lumineux —, et certains sont si cramponnés leurs certitudes et leurs acquis que je les vois mal laisser émerger un jour d’après sans avoir recours une forme ou une autre de violence.
Mais, dans la douceur printanière, j’aime cette fluidité cristalline — qui me fait penser au piano de Ravel.
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