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Jeudi 14 mai
Dilemme
jeudi 14 mai 2020, par
Dans un réflexe un peu moutonnier bêêêê, voilà presque deux mois, je me suis lancé dans une entreprise assez attendue pour quelqu’un comme moi : un journal de crise. Tout à la fois exercice de style, exutoire d’angoisses, aspirant témoin pour l’histoire et prétentieux nombrilisme, j’ai fait l’erreur, au contraire de bien de mes collègues, de l’intituler The Virus Diaries. Et non pas Journal d’un confiné par exemple.
Aurais-je choisi ce dernier titre, j’aurais pu, dès lundi dernier, abandonner sans arrière-pensée cet exercice littéraire à contrainte. Mais avec un titre désignant le virus comme cadre de l’exercice, je ne peux pas décemment arrêter tant que celui-ci domine aussi franchement nos existences au quotidien. Je suis donc condamné à poursuivre. Confiné dans mon journal, dirons-nous.
À moins que je ne reprenne ma liberté : j’ai mon libre arbitre après tout. Et plus encore dans le domaine littéraire qui n’a de règles que celles que je lui fixe — sauf quand mon éditeur s’en mêle pourquoi ne m’avoir pas permis les tirets cadratins ? C’est si beau ! Mais arriverai-je à me regarder dans la glace, alors que les premiers de corvée, eux, sont inlassablement soumis à leur intense labeur, alors que les soignants soignent, que les couseuses cousent, que les livreurs livrent, que les boulangers boulangent ? N’ai-je pas, moi-même, le devoir de les accompagner ? Mais alors : quid de mon grand œuvre ? De tous ces textes en souffrance ? De mon immense lectorat à l’affut du moindre verbe, de la moindre anaphore ?
Cruel dilemme, que la plume de Corneille n’eut pas nié…
Ou alors, trouver un juste milieu : venger mon père et garder Chimène. Ne reste alors qu’à partir 500 pour me retrouver 3.000 (un peu ridicule, comme nombre, quand on y réfléchit : imagine-t-on le D-Day avec 3.000 soldats ?) en arrivant au port. Mais quel port ? Quelle guerre ? Contre le virus ? Et voilà : retour à la case départ, sans toucher 20.000 francs (c’est combien en euros, maintenant ?)
Alors mon juste milieu à moi : ne pas renoncer pour autant à ce rendez-vous quotidien avec une écriture pour l’écriture — et certainement pas aux pistes fictionnelles lancées, comme la General Pause, qui m’amuse beaucoup, je l’avoue. Mais placer ces nouveaux textes sous d’autres catégories, me sentir peut-être plus libre d’aborder d’autres sujets qui préexistaient à la crise. Qu’importe, finalement !
Ah, j’aurais pu lui en apprendre, des choses, à ce Corneille ! S’il ne baillait pas autant, il y trouverait sans doute des solutions, à ses dilemmes.