Jeudi 26 mars

Dilemme cornélien, tout à l’heure à la boulangerie : un vieux monsieur cacochyme, devant moi, masque rudimentaire voletant devant la bouche et le nez, pose sa canne sur le comptoir pour compter ses pièces et payer quelques viennoiseries destinées à ses enfants à la maison. Dans un faux mouvement, la canne tombe. Devant moi.
Moment d’hésitation. Mon premier mouvement serait, immédiat, de me pencher et de la lui ramasser : mouvement on ne peut plus naturel, d’aide à son prochain (ou à son aîné, en l’occurrence). Mais je me retiens : je n’ai pas de gant, je m’apprête à acheter moi-même ma baguette et donc, possiblement, à la toucher. Que faire ?
Je m’en veux de ce moment d’hésitation. Je m’en veux plus encore de lui demander : « Voulez-vous que je vous la ramasse ? » Lui qui répond, sans étonnement aucun dans sa voix, ce qui m’étonne : « Oui. »
Je me baisse, la saisis par un petit anneau brisé près de la poignée et la lui tend. Je ne sais même pas s’il m’a remercié. Je me sens très mal.