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Vendredi 20 mars
Émotion collective
vendredi 20 mars 2020, par
Quel sentiment étrange, hier soir, et les soirs précédents lorsque, nous rendant compte qu’il est 20h, nous ouvrons les fenêtres à notre tour pour entendre les applaudissements et les clameurs. Une bouffée d’émotion, les larmes aux yeux, quelque chose qui fait un peu oublier toutes les mesquineries dont on entend parler ailleurs (les vols de gel ou de masque, qui ont eu lieu jusque là où travaille Laure, les gestes d’humeurs égoïstes, etc.). Laure qui, d’ailleurs, se demande si elle doit le prendre pour elle — je lui dis que pour moi, oui. Même si elle n’est pas réanimatrice, cela ne veut pas dire que la petite pierre qu’elle apporte à l’édifice n’a pas son importance. Quelle émotion. Un peu comme ce qu’on avait vécu lors de la grande manif du 11 janvier 2015, lorsque les flics avaient été acclamés comme des héros — et, les larmes aux yeux, ne savaient plus où se mettre.
Quel sentiment partagé aussi, quelque chose d’un peu absurde, d’inutile. Se dire que tous ces gens acceptent, sans discuter, ce confinement hallucinant et, par là, cette période, cette nouvelle ère de l’anthropocène qui s’ouvre à nous : non seulement le réchauffement climatique, mais aussi une vie de cloitré, d’animal de zoo. Le monde à portée de clic, mais rien à portée de main.
Et encore cette angoisse, cette rancœur, de se dire que, malgré tout, tout va continuer comme avant : les profits, les réductions de coût, le libéralisme, comme si rien n’était arrivé. Après la première guerre mondiale, il en a fallu une seconde pour qu’on se décide à une quelconque ambition planétaire. Et encore, au cours des dernières décennies, on constate comme cette ambition était illusoire, qui n’a empêché — voire a favorisé, d’une certaine manière — ni la Corée, ni le Cambodge, ni le Rwanda, ni la Yougoslavie, ni la Syrie et j’en passe…
Ce sentiment d’inutile, d’amertume, qu’un virus arrête tout, alors que le réchauffement climatique, qui est potentiellement des millions de fois plus létal, n’a pas même provoqué plus que quelques discours vides et vains.
Alors oui. Évidemment, merci aux soignants. Ce sont des héros. Comme l’étaient ces trouffions dans les tranchées qu’on envoyait tels de la chair à canon. En un peu plus noble, certes : ils l’ont choisi, ils savent pourquoi ils se battent. Mais chair à canon quand même. Et héros certainement. Mais ces applaudissements me font aussi entendre le silence qui les a précédés.
Il est 15h18. Mes enfants font la sieste. Ils sont extraordinaires aujourd’hui. Exemplaires même — ce n’a pas été le cas hier, mais passons. Et je les vois, ces petites têtes d’ange ensommeillés, et je ne sais quel avenir ils auront. Combien de temps passeront-ils en confinement au cours de leur enfance ? Combien d’émeutes verront-ils, terrifiés, passer sous leurs fenêtres ?