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Mon écrivain à moi tout seul

19 octobre 2008

Je viens de relire dans Tumulte la relation que François Bon fait de sa rencontre avec un vieil écrivain, qu’il ne nomme pas mais que deux phrases à peine suffisent à identifier sans plus de doute. Et je me prends alors, fasciné par cette silhouette qui se dessine devant moi, grâce aux quelques mots presque arides de Bon, cette silhouette qui parle et qui dégage un je ne sais quoi de mythique étrangement humain et familier — je ne sais pourquoi, je revois les mains calleuses de mon grand-père, son visage ridé que j’aime tant et qui semble toujours même dans le plus profond des sérieux sourire à la vie, l’accueillir — à penser mon propre rapport aux écrivains, vivants ou morts. (Le vieil écrivain est d’ailleurs décédé depuis la rédaction de Tumulte, mais j’entretiens avec l’idée de sa personne, de son personnage, que je me suis façonnée de lui, et auquel j’ai donné son nom — son pseudo —, le même rapport, inchangé — et pourquoi en aurai-je changé ? —, ou peut-être juste plus aimant et attendri encore qu’avant.)

Je les tutoie. Ils sont là, avec moi.

Quand je lis, ce n’est pas moi qui lis, c’est l’écrivain qui me raconte, qui me lit à haute voix, qui m’emmène dans le rythme de sa langue — d’où mon incapacité presque systématique à revenir en arrière, à relire plusieurs fois une même phrase. Il me parle et se développe entre lui et moi une complicité faite de petits plaisirs et de grandes frustrations.

Un dialogue s’instaure. Et c’est bien un dialogue, non pas un monologue. Sans doute moins animé, moins controversé, que si la personne était physiquement en face de moi, mais certainement plus vivant et plus riche que ces discussions vagues qu’on engage parfois avec la personnalité rémanente d’un ami disparu, dont on porte encore le souvenir, depuis déteint, assimilé, nourri par toutes les expériences par nous vécues entretemps.

Le travail sur Gainsbourg, qui occupe l’essentiel de mon temps en ce moment, m’amène au même sujet, mais d’un autre point de vue.

Au contraire de l’écrivain, Gainsbourg, personnage public, est figé dans l’image qu’il s’est façonné. Cette image, ce masque, devient pour nous une coquille vide qu’on a de cesse de remplir.

Et avec quoi ? avec soi. Soi-même. Chacun, non plus converse avec lui, l’artiste — on se sent en sa présence —, chacun se projette sur lui, prend sa part de personnage, sa part de drame, sa part à lui. Chacun devient lui.

Avec lui, on ne cause plus du mythe, il est le mythe. Et on ne peut jamais que graviter autour, imaginer ce qu’il y a à l’intérieur, passer au travers.

Mais revenons à l’écriture.

À l’écrit plutôt.

À l’un de mes amis, par exemple, qui se contente maintenant de simples initiales pour attribuer ses citations. « J.D. », « M.B. », « T.W.A. » pour lui, ça ne fait pas un pli, c’est comme s’il parlait d’un de ses amis. Comme s’il racontait une anecdote qui lui serait arrivée durant une soirée. La citation devient comme la chute d’une plaisanterie.

Et l’autre, là, qui disait « l’Ami… » pour parler d’un auteur (toujours le même, décidément, rares sont ceux à le nommer) qu’elle n’avait pourtant pas lu. Dont elle avait beaucoup entendu parlé. Et ce n’est déjà pas si mal, pour donner quelque chair à un être.

S’attacher à cette silhouette en creux de l’écrivain, de l’artiste. Parler à sa place, devenir lui.

En écrivant cela, j’écris écrire. Et peut-on faire autrement, aujourd’hui ?

Déplacer le problème. Ne pas parler de soi, et ne pas écrire sur les autres.



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