Site de création littéraire plus ou moins expérimentale
Dernier ajout : 21 novembre 2022.
En lisant, en écrivant : rendons à Julien Gracq ce qui lui appartient.
Sans ordre ni désordre...
J’érode mon réel. Mes livres s’ouvrent, mes stylos meurent, mes carnets se terminent, mes habits s’éliment et se trouent, ma montre tourne — toujours — à contre-sens. Le reste fatigue.
J’aime voir vieillir les objets qui m’entourent, les manipuler, reconnaître dans la patine laissée par le temps mes habitudes, mes défauts, mes manies et petites obsessions.
J’aime en contempler l’histoire et l’usure à l’aune de nos moments partagés — (...)
La vue des bateaux immaculés glissant sur la surface à peine ridée des lacs helvètes m’attriste. Ils ne feront jamais l’expérience de la fragilité de leur existence face à l’immensité écrasante de l’océan, la rudesse nerveuse du clapot, la puissance majestueuse de la houle. Faisant rond dans l’eau, ils achèvent toujours leur parcours. Prisonniers des hauts sommets et des alpages abrupts, ils développent une myopie frileuse, et n’éprouveront jamais cette (...)
je lis
sans penser
je lis
sans se soucier du sens
je lis
sans essayer de comprendre
je lis
je me laisse porter, je me laisse charrier tel lourd alluvion par le courant tranquille du fleuve de ton verbe, sans regarder, sans prêter attention à autre chose que cette simple sensation de glisser, d’être porté, d’être supporté, de planer au-dessus en-dessous du sens, du beau, de l’équilibre
je lis
plutôt que de deviner perspective improbable, je laisse fuir au-delà mon (...)
sans place, les yeux au raz de l’eau, j’en suis tranquillement, consciencieusement le cours, je scrute la berge sans savoir qu’attendre, contemple les falaises abruptes, dont l’à pic rougit dans le soir
l’eau fait masse sur mon corps, les menus arbustes défilent décharnés, vert domine sur bleu, le silence réverbère quelques murmures sur la froide paroi, j’avance sur place, déterminé, les pieds levés en signe d’acceptation
majestueux et froid, (...)
sans savoir pourquoi, cette sensation de vague — dérive dans la nuit (souvenir des étonnements d’enfant lors de voyage en train, défilement devant fenêtre imperturbable), flottement des lumières urbaines qui s’écoulent sur l’asphalte chaud — l’oreille cherche, interne, l’équilibre, les repères manquent
le basculement est imperceptible — le visage ne verdit pas, pâlit à peine — les yeux sont secs — les pieds foulent
vague sensation de vague qui l’emporte (...)
Ce n’est pas lever un voile, c’est chausser des lunettes. Chaque lettre a son contour, chaque mot sa couleur, et le réel se cisèle au fil de la plume. On y distingue un océan qui lui, une hélice métallique qui tourne majestueusement dans l’éclat d’un couchant lavé par les pluies, quelques éclats de couleurs — comme des éclats de rire d’enfant dans une cour de récréation (en plus tranquille et moins bruyant), des lignes au cordeau, au couteau, au rasoir, qui (...)
Proust au vol.
Finesse et lourdeur alliées en un. Lourdeur d’une syntaxe qui ressemble à un cerisier courbé de fruits au mois de juin, mais dite avec cette légèreté de ton, ce murmure discret de l’esprit savant et brillant qui se sait écouté et guetté. Délicatesse du vocabulaire dont la richesse ne choque qu’au tournant de la phrase, là où on ne l’attend pas, — et cette fascination pour le mot plus qu’à moitié juste, qui trimballe derrière lui ses cinq (...)
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