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Sans-Titre IX

25 juin 2008

Elle le précède dans le bar. C’est elle également qui s’adresse au serveur pour lui demander une table. Elle est fine et longue, brune sensuelle vêtue de noir, une jupe sobrement droite. Lui est derrière elle, la suit, n’ouvre pas la bouche, balaie la salle d’un regard méchamment viril, martial et prédateur — et un peu stupide aussi, borné surtout —, jette un coup d’œil au miroir pour s’assurer de l’effet de son entrée aux côtés de sa sirène. Le col remonté, il est plus petit qu’elle, ridiculement mal rasé et cheveux ras.

Pendant que le serveur leur prépare une table, il lui prend le menton d’une main, lui tourne la tête d’autorité et impose sa bouche à la sienne. Son baiser est sec et violent, qui la séduit sans doute par son animalité brute.

Il est bourré de tics, se passe compulsivement la main sur la nuque, pour brosser à rebrousse poil ses cheveux courts et grisonnants.

Courtaud, sec et trapu, tout en nerfs et en éruption, il s’efforce d’imposer sa mâle supériorité avec une ostentation plus risible que convaincante.

C’est la première fois qu’elle le voit ainsi en plein jour. Ils se sont rencontrés la veille, boîte étincelante et morte, rythmes sans couleur, enivrants de simplicité primordiale. Cette nuit dernière, elle n’a vu de lui que son ombre dessinée sur couleurs lumières. Senti son odeur mêlée, ses muscles secs massés sous la peau quand la danse les collait l’un à l’autre. Elle a vu l’espoir d’un désir, a senti ses bras déterminés, sa bouche rêche, aride. Pourquoi s’est-elle laissée aller à cette première rencontre ?

Elle ne saurait l’expliquer. L’haleine fétide, le baiser sans talent, les gestes sans volupté, la force brute.

Peut-être cette puissance éruptive, cette espoir d’une tendresse cachée. Elle aurait voulu l’avoir dans l’instant. C’était ce que son corps à lui, son corps à elle, ses gestes et ses odeurs exigeaient.

Mais non, il n’avait rien fait.

Il a tenu à prendre son numéro et à la revoir le lendemain.

Réduite à supporter sa compagnie toute une soirée pour en jouir la nuit.

Le monde à l’envers.

Elle aimerait s’en aller mais se refuse à être aussi sèche, aussi dure.

Et puis bon, elle a déjà fait bien pire et comment savoir

On s’arrête d’un coup d’écrire, au milieu de la phrase. On ne peut plus continuer ainsi. Il faut cesser, lire, réfléchir, laisser tomber ce texte.

Problème à ce stade : la langue, encore et toujours. Je n’aime pas ma langue jusque là. Pas satisfait, vraiment pas. Je n’arrive pas, ça n’avance pas. Rien dans cette langue. Il faut la pousser plus, la tirer, la tirailler. L’oublier surtout. Je n’arrive pas à couper le cordon. Ce cordon qui me lie inexorablement à la syntaxe et à la grammaire, au « beau style classique » et à ses circonvolutions.

L’entrée de ce couple n’est qu’un prétexte que n’ai pas su exploiter. Un peu au début, peut-être, et un peu occasionnellement au détour d’une ligne. Mais à part ça, c’est la catastrophe.



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