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Vendredi 19 juin

19 juin 2020

Et puis on s’habitua — Chapitre 6

Personne ne sut ce qui s’était passé. Ni parmi les humains — les rares humains qui y connaissaient encore quelque chose, et qui s’y intéressaient suffisamment pour s’être tenus au courant des évolutions de leurs créatures —, ni parmi les intelligences artificielles. Personne.
Après coup, on était arrivé à reconstituer laborieusement l’enchainement des événements, mais sans assurance aucune. Ces deux là avaient-ils été pris, on ne sait comment de la même urgence de sortir de chez eux au même moment, et se soient trouvés soudain nez à nez au fond de ces nouvelles forêts primaires qu’était entretemps devenue la ville ? Ou s’étaient-ils donnés rendez-vous à l’aide de je ne sais quel réseau — il y en avait tant à présent, personne n’arrivait plus à en tenir le compte, pas même les machines elles-mêmes, pourtant en réseau : au reste, elles s’en étaient complètement désintéressées depuis le temps ?
Était-ce une machine qui avait pris d’elle-même, consciemment, l’initiative, arrivée au bout d’un long raisonnement (il)logique ? Peut-être. Mais alors elle ne se dénonça pas — et effaça même de ses archives toute trace de son action. Ou alors une machine prise d’un soudain et temporaire accès de folie ? Ou alors un dysfonctionnement d’un drone. Ou mieux : le fonctionnement simultané de plusieurs drones, provoquant le premier fracas de taule depuis des lustres. Un fracas tel que tout le voisinage aurait pu l’entendre — si les logements n’avaient été si bien insonorisés et les oreilles de leurs occupants cachées sous des casques hermétiques. Mais ces ceux-là avaient très bien pu l’entendre quand même. Peut-être attendaient-ils tous deux une livraison, que devaient justement assurer les drones impliqués dans l’accident ? Qui sait ?
Intrigués, apeurés même, peut-être, ils avaient néanmoins pris leurs courages à deux mains et étaient sortis de leurs antres respectives pour aller investiguer le vacarme qui se poursuivait. Les drones pompiers n’avaient pas encore eu le temps d’intervenir pour remettre tout en ordre. À moins qu’ils n’aient pas été prévenus (tant d’indices concordants qui invitent à penser que tout ceci était un ballet soigneusement orchestré par une puissance omnisciente à défaut d’être omnipotente). Le choc avait été tel que les batteries des drones avaient explosé.
C’était une belle soirée d’été. Il n’avait pas plus depuis quelques jours et le sous-bois était bien sec, de même que la canopée déjà un peu jaunie. Le feu se propageait rapidement en crépitant. Vivaces, les flammes dansaient en léchant les troncs. Le petit vent chaud n’arrangeait rien.
On entendit une première détonation mate et sèche. Puis une seconde, suivie d’un sifflement suraigu. Une troisième, une quatrième. Ça pétait dans tous les coins.
Les deux ne s’étaient pas vu encore. Affolés, ils restaient pétrifiés, sans pouvoir bouger, comme hypnotiser par les flammes. Même à distance, la chaleur était insoutenable. Ils pleuraient, leurs visages rougissant sous la brûlure.



Dernier ajout : 17 mars. | SPIP

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