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Jeudi 21 mai
Journal de Kafkavirus
jeudi 21 mai 2020, par
Des grains de sable par tonnes, dans une machinerie déjà pas extrêmement bien huilée. Des dérèglements dans le règlement. Des désordres en pagaille. Je m’arrête là, car les images qui me viennent sont bien trop nombreuses et toutes sont pertinentes.
L’audace des uns se fige face à la timidité timorée des autres, la volonté plie sous les contorsions. Ou est-ce plutôt l’inverse ? Je ne sais…
Mais parlons concrètement de ce qui nous occupe aujourd’hui : que faire de nos chères petites têtes blondes ?
Depuis une petite semaine (déjà interrompue par nos fameux ponts du joli mois de mai : ceux-là, il faudra sans doute plus qu’une petite pandémie pour les mettre à bas), mes deux aînés ont fait leur retour à l’école. Ça n’a pas été sans mal, et les nouvelles règlementations sont tout bonnement absurdes, surtout pour des enfants de cet âge (petite section de maternelle et CP). Mais passons. Depuis une petite semaine, donc, ils retournent à l’école. À leur école. Celle où ils sont d’habitude. Ou plutôt où ils étaient d’habitude, avant toute cette folie.
À peine une semaine, et les directrices nous disent déjà que ce ne sera plus possible qu’ils viennent. Ils ne pourront plus aller à l’école. Ou plus tous les jours, ce n’est pas clair (rien n’est clair de toute façon). Apparemment, même si leur mère est soignante, nous ne sommes plus prioritaires. Cela signifie que ce retour à l’école est moins fiable que le service minimum dont nous bénéficiions le mois précédent !
Si l’autre parent télétravaille, alors il doit les garder.
Même chose avec la crèche. Les nouvelles contraintes sanitaires font que ma fille ne peut être garder que trois jours… toutes les deux semaines ! Le reste du temps… Ben… C’est bibi.
Mais quel parent seul a jamais réussi à télétravailler en gardant des enfants de 1, 3 et 6 ans ? S’il en existe un, je lui tire mon chapeau. Bravo ! À deux, à la rigueur, on se relaie : le matin pour l’un, l’après midi pour l’autre, et le soir pour compléter. Mais seul ? Faire les deux journées en une : éducateur spécialisé en petite enfance, plus instituteur de petite section, plus maitre de CP la journée, plus le travail. Un travail qui nécessite quand même de se concentrer un minimum. Quel que soit le travail. Alors un travail d’écrivain, n’en parlons pas.
« Travaille le soir ! » me dit une certaine personne que je ne nommerai pas : après une journée entière à courir après les gosses, où trouverai-je l’énergie ? Je l’ai fait les premières semaines. Aujourd’hui, je ne peux plus. Autant en finir.
« Et un•e baby-sitter ? » me rétorque une autre (ou est-ce la même… ne l’accablons pas). Mais, au-delà de l’immense défi qui consiste trouver quelqu’un de compétent (capable de garder trois enfants pendant toute une journée), en qui on a confiance et qui serait disponible (ce qui fait quand même beaucoup) : qui a l’argent ? Ne vais-je travailler que pour dépenser aussitôt ce que j’ai gagné en baby-sitter ?
Et pourtant non. Tout le monde trouve ça normal. Ou presque.
On me dit : « Regarde un•e•tel•le, c’est ce qu’elle•il fait ! » Oui, mais elle•il est salarié•e. On l’a peut-être mis•e au chômage partiel au départ. En tout cas, elle•il n’a pas à démarcher, à réclamer… son salaire tombera à la fin du mois. 84% peut-être, mais 84% quand même.
J’aimerais bien, moi, retravailler normalement, relancer l’économie et tutti quanti. Mais comment avec tous ces bâtons dans mes roues ? On dirait un jeu de mikado.
Aller, j’arrête. Suffit de se plaindre. Au boulot. Aller, les enfants, qui veut prendre un goûter ? Après, on va prendre l’air — non, désolé, mon chéri, on ne pourra pas aller au parc. Pas la peine de bouder, de faire une colère, ce n’est pas moi qui ai choisi. Non. Comme hier, comme avant-hier, comme le jour précédent encore… Non. Désolé.