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Dimanche 3 mai

3 mai 2020

Joyeux anniversaire !

Et voilà. Ce que nous redoutions arrive : le premier anniversaire de notre petite dernière se fait confiné. Un anniversaire à huis clos. Avec des grands-parents, des oncles et tantes, interdits. Qui y assistent à distance.
Déprime.
C’est aussi un anniversaire pour lequel les achats de cadeau ont été pour le moins limités.
Déprime.
Un anniversaire enfermé, en semi-liberté, qui signe, en même temps que la première année de ma fille, ses deux mois enclos — 1/6 de sa vie extra-utérine. 1/6 de sa vie, à ne voir que les quatre mêmes visages, certes souriants et aimants, mais tout de même. Et la sécurité psychologique, la réassurance affective qu’elle en retire indéniablement, compense-t-il l’absence de socialisation, et de tous les acquis que celle-ci pourrait lui apporter ?
Bref, un premier anniversaire limite, dont l’esprit festif est teinté d’amertume.
Le principe d’anniverskype n’est pas sans ses défis propres, notamment quand il s’agit : d’abord pour avoir tout le monde ne même temps au bout de la caméra, afin que tous profitent du soufflage de bougies ou de l’ouverture des cadeaux ; ensuite ces acrobaties et contorsions pour tenter de prendre des photos de groupe, qui incluent les invités derrière leurs écrans ; enfin trouver le cadrage, le dynamisme de l’image, pour entretenir chez les uns et les autres un semblant d’intérêt pour ce spectacle à distance — qu’ils préfèreraient certainement vivre eux-mêmes.
Concernant les cadeaux, les deux aînés ont trouvé une solution admirable : ils ont choisi parmi leurs jouets ceux qui n’étaient manifestement plus de leur âge pour les lui offrir — j’avoue toutefois m’attendre à ce que ces jouets jouent la fille de l’air, et observer un phénomène de marée entre leurs chambres, allant dans un sens et dans un autre au gré des caprices de la Lune et du Soleil. Quant au seul cadeau en propre qu’elle a eue, de la part de ses parents, il est arrivé grâce à la magie des courses en ligne, tout juste à temps. C’est un cadeau dit « vintage », c’est-à-dire qu’un certain industriel du jouet a voulu remettre au goût du jour l’un de ses grands classiques d’il y a quarante ans — en l’occurrence un tourne disque en plastique. Mais cette tentative finalement très intelligente de toucher le fil nostalgique des parents ne suffisait manifestement pas pour leurs commerciaux et ingénieurs : ils ont à tout prix voulu le technologiser, l’adapter au XXIe siècle. Résultat, il faut à présent des piles pour le faire fonctionner (en plus du ressort à remonter pour faire tourner le disque) et je suis à peu près persuadé que la partie électronique de la chose est moins solide que la mécanique de boite à musique qui suffisait auparavant. Certes, on y gagne en sophistication musicale, mais on y perd en robustesse et, surtout, en durabilité. J’ai le sentiment que ce simple jouet sert de symptôme symbolique aux maux de notre société.
Sinon, pour compenser le peu de spectateurs, nous avons tendu une banderole ad hoc à notre balcon : peut-être les applaudissements de ce soir seront-ils aussi en partie pour elle ?
Au reste, nos vis-à-vis peuvent chaque soir constater les progrès phénoménaux qu’elle fait en termes de motricité : au début du confinement, elle rampait à peine. Aujourd’hui, elle se dresse sur ses pieds et commence à vouloir aller de meuble en meuble. Et ils l’encouragent avec force courage et cris.
Quant à moi…
J’aimerais la voir faire quelques pas dehors — impossible.
J’aimerais la voir sentir entre ses orteils quelques brins d’herbe drus et verts — impossible.
J’aimerais la voir se faire câliner par d’autres que nous — impossible.

Comme je le pressentais, à 20h, notre petite fille a eu droit à de très jolis vœux de la part de nos vis-à-vis, qui ont sorti un petit haut-parleur à la fenêtre pour accompagner leur chanson. Merci à eux ! Vraiment.



Dernier ajout : 17 mars. | SPIP

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