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Mercredi 15 avril

15 avril 2020

Mercredi, jour des enfants…

Mercredi, jour des enfants… Ça me fait bien rigoler, tiens. Ces temps-ci, tous les jours sont le jour des enfants.
On dit souvent combien l’amour et le désir sont au moins autant une affaire de distance, d’inatteignable, que de fusion et d’accessible, d’efforts au quotidien. Je ne sais ce qu’il en est réellement — j’imagine qu’à chaque relation amoureuse correspond un équilibre délicat et singulier entre ces divers ingrédients. Mais il en va sans doute de même de l’amour filial et de l’autorité parentale. Un père distant aura toujours plus de poids qu’un papa poule. Et qui n’a jamais été soufflé des différences de comportement de son enfant en présence d’une figure d’autorité plus lointaine (l’institutrice•eur, le•a moniteur•rice…) ?
À cet égard, je pense que, parmi tous les sujets du confinement, il en est un qui, étrangement, échappe encore, je ne sais par quel miracle, aux sachants de tout poil : son effet sur l’autorité parentale. Effet délétère s’il en est. Et on n’est pas au bout de nos peines. Qui sait ce qu’il en restera dans un mois.
Cette disponibilité virtuellement permanente du parent, à toute heure du jour et de la nuit, propre à satisfaire tous les besoins, leur fait croire que tous leurs désirs sont acquis — et ils n’ont pas attendu le coronavirus pour s’apercevoir que, parfois, pour un moment de tranquillité, le parent est prêt à beaucoup de compromis. On ne peut pas dire que les désirs changent vraiment : ce sont les mêmes envies de jeux, d’attention, d’une histoire supplémentaire, éventuellement d’une sucrerie — et, puisque je suis humain après tout, après six années de résistance de tous les instants, j’ai enfin accepté d’avoir recours à la magie des écrans. Non sans regret d’ailleurs. Car je fais l’amère expérience que plus un outil est magique, plus il est maléfique une fois éteint. Je sais, ça n’était jusqu’ici un mystère pour personne d’autre que moi, mais ce n’est qu’aujourd’hui que je le découvre. Bêtement. Et je me demande comme se passera le sevrage quand, la bise et le déconfinement venus, et mon inlassable bataille anti-images reprenant à nouveau avec rage, ils s’en retrouveront fort dépourvus.
Certes, ils ont toujours su que cela existait : les grands-parents, depuis longtemps, ont vendu la mèche. Mais cela restait limité au « dehors ». À présent qu’ils savent que cela existe aussi au « dedans », sauront-ils l’oublier ? le désapprendre ? Ah… Dur d’être parents.
Mais, pour revenir au sujet qui nous occupe, si les désirs n’ont pas véritablement changé, la manière de les manifester, elle, a évolué. Plus encore qu’auparavant, il faut attendre, voire réclamer, les formules magiques. Ces derniers temps, excédé par si peu de considération, j’en viens à négliger non plus seulement les demandes mal formulées (dont les formules magiques sont absentes), mais toute demande qui n’aura pas été d’emblée bien formulée. Dit plus simplement : si la formule magique n’est pas prononcée du premier coup, le vœu ne sera jamais exaucé.
En fait, je pense que le véritable coupable, c’est la lecture — étonnant, non ? Surtout pour un écrivain. Et pourtant oui : c’est la lecture. Ou plutôt les lectures d’enfants, qui sont aujourd’hui non plus seulement un rituel du soir, mais un rituel de toute la journée. Et que lit-on dans ces lectures d’enfants ? Dans les contes de Grimm, des princes et des princes formulant sans cesse des demandes plus absurdes et plus impertinentes les unes que les autres, dans les Mille et une Nuits, des génies qui exaucent tous les vœux, même les plus méchants exigés par les êtres les plus vils qui soient, sans contrepartie ni a/objection.
Je crois donc que je vais interdire mes enfants de lecture. Voilà, c’est décidé. [1]

[1Encore une résolution qui ne tiendra pas une minute… D’autant qu’elle est stupide : je ne suis jamais aussi tranquille que quand ils lisent…



Dernier ajout : 16 mars. | SPIP

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