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Un titre [2]

14 juin 2011

C’est l’histoire d’un combat homérique. Celui que se livrent, éternellement, inlassablement, un titre et son auteur. Un combat qui tient du mythe, où l’on ne sait plus qui est qui. Un combat qui n’a ni vainqueur ni vaincu qui ne se rebiffe immédiatement.

D’un côté, une figure monumentale, hautaine, statue d’airain, faisant fièrement face aux éléments, embruns, rafales, explosions d’étoiles, éternités, pâle, indifférente, régnant sans partage sur une royaume trouble où tout n’est que potentiel et idéal.

De l’autre, un être de chair de sang, de sueur de fatigue, qui d’aventure a eu la (mal)chance de toucher l’image vierge de son adversaire du bout de l’esprit, hanté depuis par tous les fantasmes que celui-ci fait danser devant ses yeux, exigeant sa plus complète attention. C’est un aventurier et il ne sait pas dans quoi il s’est fourré. Ou justement ne le sait que trop bien. "Entre le doigt et l’arbre, ne jamais mettre l’écorce, disait le Sapeur Camembert." Bien mal lui en a pris d’aller visiter cet abime incertain qui sépare l’homme et son imaginaire.

L’auteur, quant à lui, est convaincu de sa complète et totale domination, persuadé d’avoir choisi, d’avoir trouvé, de maîtriser son titre — sous prétexte qu’un soir d’orage, il se réveilla en sueur, fébrile et vain (et ne parlons pas du reste) se précipitant vers un crayon de papier, dans la flamme vacillante de sa bougie (on en a quelque variante avec une lampe de chevet, mais ne nous leurrons pas, dans cette situation, même une lampe de chevet prend des allures de bout de chandelle vacillante, éclairant de sa petite lueur valsante et incertaine un petit réduit sale coincé sous un toit en lambeaux, ouvert à tout vent), et qu’il a jeté ces quelques mots, ces six syllabes sur le papier. C’est lui le maître, il a vaincu dès l’instant où sa main fiévreuse a tracé sur le papier froissé ces quelques mots, ces six syllabes. Il se sait sûr de son fait, sûr de sa paternité, de sa création : "je pense donc je crée" — ou même parfois "je crée donc je suis — et all this nonsense.

Mais l’autre n’en a cure. Il sait si bien résister aux assauts de l’imagination, si bien s’en défaire, s’en esquiver, s’en éluder. Ce n’est pas qu’il se sache plus puissant... non non. Il n’en a absolument rien à foutre. Être lui suffit. Sorti de terre, rien besoin d’autre. Il ne s’en laisse pas raconter. Le récit s’arrête avec lui. Il se circonscrit d’emblée, se noircit et perd sa substance derrière lui. On peut ne plus s’en souvenir, il n’empêche.

Certains dirons : "Quand j’ai le titre, quatre-vingt pour cent du travail est fait." Ceux-là se laissent faire par le pouvoir totalitaire et non éclairant du titre. Ils se laissent aller à la magie du mot, en oublient leur (ir)réalité.

D’autres au contraire ne s’en laisseront pas imposer, et composeront autour, pas le choix : un titre se contourne ou n’est pas.



Dernier ajout : 17 mars. | SPIP

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