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Un pays de silence

5 février 2010

« Je t’aime — Je t’aime, dit-elle d’une voix douce et grave, avec ce petit empressement dans les consonnes qui seul la trahirait si son discours n’était si clair, Je t’aime — Je t’aime, répond-il, sa voix est singulièrement plus haute et légère, plus agitée, presque peureuse dans ses dentales, Si je ne t’aimais pas, je serais perdu dans un pays de silence. »

Aussitôt : a-t-il dit “pays” ou “océan” — “océan” serait plus attendu, “pays” fait un peu provincial, “pays” fait irrémédiablement paysan, “océan” traduirait mieux la détresse, “océan” dirait mieux l’irrémédiable égarement — et est-ce “silence” ou “solitude” —encore une fois, “solitude” serait ce qu’on attend du poète, “silence” paraîtrait presque incongru, “silence” serait totalement déplacé lorsqu’on sait qu’ils sont perdus dans la ville, au bout du fil l’un de l’autre, séparés par, “solitude” ça fait romantique, un peu midinette, peut-être, mais romantique tout du moins, “solitude” est exactement enfin ce qu’on attend de la grande ville — ceux qui écrivent la ville le savent qui cherchent à ce mot d’innombrables synonymes et métaphores.

Mais non, ce n’est ni un océan de solitude, ni un océan de silence, ni un pays de solitude, je crois bien qu’il a dit pays de silence — et je crois aussi que c’est à ce moment-là, à l’instant de l’énonciation de ce complément de lieu atypique et incongru qu’a commencé le frisson, le plaisir intense, juste avant que ne s’élève la célèbre trompette que j’attendais pourtant de toute ma solitude, perdu dans mon pays d’impatience. L’éclair de plaisir a été si intense que j’ai du arrêter, détourner les oreilles, boucher mes yeux, ne plus penser, préserver ces deux images, ces deux portraits simples, nature plus ou moins morte, vanité avec un téléphone au lieu du sempiternel crâne, ces trois mots et ces six notes qui résonnent à présent. Je veux les réentendre — j’en ai peur — je suis perdu sans silence ni pays, sans solitude et loin de l’eau et de mon nageur de fond.

Je t’aime — Je t’aime, dis-je sans voix, à l’autre bout, un v(b)ide, je reste certain de mon être et de mon lieu, et fond de moi du blanc, quelque chose qui doit ressembler à un noir diffus, une rumeur sans vie, celle d’une simple rotation sur un axe.

Je t’aime — Je t’aime, dis-je encore, plus bas encore, j’aimerais que cette voix qui n’est pas mienne loin au-dessus et derrière mes oreilles (en pointe) enfin l’entende.

Merci Louis pour cet instant d’ineffable sublime.



Dernier ajout : 17 mars. | SPIP

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