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Mercredi 14 octobre

14 octobre 2020

Proust par surprise

Ce matin, j’ai décidé de procéder à un grand ménage de mon espace de travail. Un grand ménage d’automne, dirons-nous. J’écoute pendant ce temps une émission de philosophie au sujet de Pagnol et de l’enfance. Dernier volet d’une série d’émission qui, de prime abord, m’inspirait moins que les deux précédents (sur le Petit Nicolas et Roald Dahl).
Étonnant, à présent que j’y songe en l’écrivant, de faire un grand ménage d’automne, alors même que ma découverte du concept de grand ménage de printemps remonte, justement, à ma lecture de Pagnol !
Mais ce n’est pas de cela que je veux vraiment parler ici.
Au deuxième tiers de l’émission, lecture est faite d’un passage de Pagnol : celui, après une ellipse de cinq ans, qui voit le narrateur marcher tout de noir vêtu derrière une voiture à cheval, si haute que l’on en voit les chevaux entre les roues. La lecture, fort belle et pudique, de Georges Claisse s’accompagne des premières notes de l’Adagio du Concerto en sol. C’est l’adieu à la mère.

J’explose en sanglots. Ce n’est pas une image : je n’ai pu retenir mes pleurs. Moi. 40 ans passés. Et aussitôt, je sais que je pleure moins à cause l’éventualité d’un deuil maternel que de cette émotion que j’ai ressentie, voilà près de 30 ans, à la lecture que je fis moi-même, enfant, de ces quelques lignes. Ce n’est pas une émotion nouvelle, c’est une émotion très ancienne qui resurgit et me prend par surprise. Je la reconnais par sa pureté, sa naïveté, son intensité, sa terreur également — terreur de cette éventualité de la perte que, peut-être, je découvre à cette occasion.
Je me vois de nouveau en train de lire le livre — allongé sur le ventre, sur mon lit, un dimanche après-midi pluvieux. La lecture s’arrête bien évidemment, on ne peut pas lire tout le passage, mais toutes les images qui avaient peuplé mon esprit pendant que je lisais me reviennent soudain en mémoire — elles sont aussi précises que celles de mes souvenirs vécus : elles ont sans doute un peu bougé, elles sont plus floues et recomposées, mais c’est comme si elles avaient toutes subi le même traitement du temps et de la mémoire.
Bref : une expérience proustienne, certainement.
La coïncidence est frappante également : car ce 14 octobre, nous aurions fêté les 40 ans de celui qui fut un temps mon meilleur ami, mais qui a été emporté voilà vingt ans sans prévenir. Un meilleur ami avec lequel les discussions sur Proust (et sur tant d’autres choses) étaient interminables. Un meilleur ami dont le deuil fut aussi un choc incommensurable.
Étonnant également : c’est la deuxième fois cette année que Pagnol se manifeste à moi inopinément, alors que je songe somme toute assez peu à lui d’ordinaire.



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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