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Lundi 15 juin

15 juin 2020

Parler pour ne rien dire

Mais qui donc lui écrit des discours aussi plats ?
D’un autre côté, je l’avoue, je n’ai jamais aimé ses discours. Depuis le début, je les trouve maladroits, ampoulés. Même lorsque le sentiment que j’y devinais me semblait juste, leur formulation me semblait toujours « à côté ». Non par manque de sincérité sans doute (bien que), mais parce qu’elle ne m’apparaissait jamais destinée au présent, comme si j’y ressentais confusément la volonté de bâtir un nouveau modèle de discours politique qui, en s’inscrivant dans l’héritage de La Guerre des Gaules ou des mémoires de de Gaulle, réinventerait le genre, au moyen d’une aspiration littéraire et poétique hélas assez souffreteuse. Comme si, au lieu d’avant-garde, sa plume s’était satisfaite d’un néo-classicisme bon teint, dont les menues entorses à l’académisme devaient être considérées comme des éclairs de génie. Certes, on n’attend pas d’un président une quelconque radicalité littéraire (même si) — attend-on d’ailleurs de lui la moins aspiration littéraire ? On devrait, mais là n’est pas le propos —. Mais on aimerait tout de même que sa vision de long terme, son « projet » comme on dit en novlangue, s’y manifeste aussi par l’horizon que le verbe dessine.
C’est du reste peut-être là que le bât blesse : on a trop peur de se tromper sur l’avenir pour s’engager dans quoi que ce soit, quand bien même on admettrait d’emblée l’éventualité de se fourvoyer — ce qu’il a fait, reconnaissons-le. Mais quand on veut ajouter son nom à la longue liste de leaders charismatiques (quoi qu’on pense d’eux par ailleurs), d’Alexandre à César, d’Auguste à Gengis Khan, de Charlemagne à Napoléon (tiens tiens), de Clémenceau à Churchill, de De Gaulle à … (<-remplir à sa convenance), il faut tracer des lignes, lancer des passerelles vers l’avenir. Comme un acte de foi.
Ce que ses plumitifs laborieux négligent, c’est que la postérité oublie la plupart des discours, et ne retient que ceux qu’elle souhaite, qui nourrissent son propre narratif qui revisite forcément les faits (on fête dans trois jours un de ces tels discours dont l’impact réel fut bien inférieur à celui que l’histoire communément racontée veut lui attribuer). Pourquoi alors vouloir à tout prix inscrire chaque parole présidentielle dans le tissu historique ? Pourquoi ne pas savoir rester un peu pragmatique ?
C’est peut-être l’une des leçons des diverses études de littérature comparée qui ont été réalisée entre les discours du président français et de la chancelière allemande : cette dernière n’a pas voulu, quoi qu’il en coûte, que reste sa parole : ses mots ont été bien souvent concrets, clairs et précis. Au souffle épique, elle a souvent (mais pas exclusivement, et c’est là un point important) préféré le pas à pas quotidien. Non pas à tâtons, mais avec prudence et honnêteté.
Mais je juge peut-être trop vite : peut-être que nombreux étaient ceux qui attendaient hier exactement ce genre de discours exaltants. Peut-être a-t-on besoin aussi d’épique pour se projeter. Mais pas tout le temps. Là, l’épique était vide.
À un ami qui n’avait pas pu écouter et qui me demandait ce qu’il avait dit, j’ai répondu : « À part que le feu est vert, que toutes les écoles rouvrent le 22, il faut rester unis, ne pas être méchants et racistes, respecter nos forces de l’ordre, réinventer l’avenir sans nier le passé, et on se r’voit en juillet pour en recauser. » Et je reste sincèrement persuadé que c’est là un résumé absolument fidèle de 20 minutes de bla-bla présidentiel. Aucun égard pour le concret. Aucune considération pour le vécu, au jour le jour. Des généralités sans substance.



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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