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Vendredi 12 juin

12 juin 2020

Kaléidoscope onirique — 5 (en imitation)

C’est une silhouette sombre qui bascule derrière les paupières. Quelques éclats de lumière intense occultés dans la chute, reparaissant immédiatement.
C’est tout. Tout s’arrête. Un bruit inopiné, une turbulence musculaire réflexe, une vibration dans l’infrabasse, qu’importe. Les yeux s’ouvrent, l’image s’évanouit.
On s’y replonge, on tente de se remettre dans les exactes mêmes circonstances, on essaie de se repasser le film, plus lentement, en l’examinant de plus près, afin de comprendre, d’identifier, de nommer.
Impossible, bien sûr. L’image glisse, insaisissable. Elle est comme cette femme familière de Verlaine. Elle mute, transmute. Reptilienne, elle s’échappe, s’éloigne, se fond. Plus on tente de l’interpréter, plus l’interprétation semble forcée, et plus l’image se dénature. À trop vouloir la revoir et la comprendre, on l’habille de force d’un signifiant qui ne lui va pas, et qui masque sa vérité — si tant est qu’elle existe.
Pourquoi, d’ailleurs, vouloir à tout prix que tout est un sens. Freud, certainement, a joué son rôle là-dedans. Mais tous les mystères, orphiques, dionysiaques et autres delphiques, nous y avaient déjà habitué.
On a bientôt le sentiment d’être un de ces historiens idéologues, qui veulent à tout prix que l’enchaînement des événements illustrent le modèle si parfait qu’ils façonnent plus ou moins en secret. Mais les événements ne sont que cela. Parfois, ils ne veulent rien dire. Ou alors ils veulent dire tant de choses à la fois que ce serait évidemment une erreur que d’en préférer une aux autres.
Au chausse-pied, finalement. On dira, mieux vaut des chaussures qui ne vont pas que pas de chaussure du tout. Voir. Et qu’importe les ampoules, les pieds en sang après dix minutes de marche, l’estropie qui nous empêchera finalement d’avancer.
Parfois, on aimerait avoir soi-même inventé la roue. Ne pas l’avoir, dès le départ, comme donnée axiomatique, au même titre que le reste : la gravité, la lumière, le chaud, le froid, le dur, le mou… Hériter de la roue des autres, c’est parfois se satisfaire de ses imperfections sans les interroger, sans même songer à la possibilité de les gommer, de se l’approprier.
Ça y est. C’est comme si elle était oubliée, derrière nous. L’image fait définitivement partie du passé. Et à ce titre, déformable à l’envi — ou plutôt non, pas à l’envi, mais au gré de l’inconscient. Jamais on ne la retrouvera. Cette pureté de l’éclat originelle est perdue. En attendant l’image suivante, qui la suivra à son tour dans l’oubli.



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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