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Mardi 21 avril
To diary or not to diary
mardi 21 avril 2020, par
En réalité, ces pages (virtuelles) portent bien mal leur nom. Ce n’est nullement un journal, même si cela relève de l’exercice du diariste. Tout simplement parce que, dans son esprit du moins, le journal est avant tout intime. Et qui dit intime dit qu’il ne s’adresse pas aux autres. Du moins pas d’emblée. Pas dès l’écriture.
La grande majorité des journaux intimes, au reste, n’aura de lecteur que leur auteur. À la limite un intime de son auteur. Ou, peut-être, un œil indiscret, un curieux voleur de mots. Et encore : ces lectures-là seront différées. Elles n’appartiendront pas au temps de l’écriture : dans l’idéal, celui-ci sera largement révolu, exorcisé même. Car l’exercice même du journal relève bien souvent de la catharsis, qu’on en soit conscient ou non.
En tout état de cause, ce lectorat n’englobera jamais la planète dans son entier, comme c’est potentiellement le cas pour bien des journaux de confinement dont celui-ci fait partie : c’est-à-dire que chaque entrée est destinée à être mise en ligne sitôt son écriture (in)achevée.
Donc, comme dirait Magritte, ceci n’est pas un journal. Autre grande différence : la conscience de ce large lectorat potentiel implique pour l’auteur une autocensure à moitié consciente, qui serait sans doute à l’œuvre dans le cadre d’un journal véritable, mais certainement pas aussi inhibitrice.
Tout ça pour vous dire que… je ne vous dis pas tout.
Je ne sais plus où j’ai lu que le livre parfait à découvrir en temps de confinement serait La vie, mode d’emploi, de Georges Pérec (au reste, ce serait là un livre parfait à découvrir en tout temps). L’article en question parlait moins de la qualité du roman que de sa couverture : cet écorché d’un immeuble parisien, où l’on peut voir dans chaque pièce une scène de la vie quotidienne. Cette vision me fait plutôt penser, d’ailleurs, à Fenêtre sur cour : combien de confinés ont-ils révélé depuis un mois la potentielle concierge qui sommeillait en eux ? Combien se sont mis à guetter leurs vis-à-vis, ou à essayer d’imaginer ce que leurs voisins trafiquent pour faire un boucan pareil ?
Les applaudissements au balcon, à 20h, sont pour mon imagination une gigantesque bouffée d’air frais : chaque soir, je vois ces visages familiers, auxquels je n’avais auparavant jamais prêté attention, et qui jaillissent ainsi quelques minutes de derrière leurs fenêtres drapées de rideaux, pendant deux ou trois minutes, me suggérant tout un quotidien. Et je me prends à penser aux Vies minuscules de Pierre Michon — également un livre parfait à découvrir en tout temps.
Mais pourquoi parlé-je de tout cela ? Ah oui, parce que je ne vous dis pas tout, et que, dans cet écorché d’immeuble parisien qui orne la couverture de La vie, mode d’emploi, je me demande si Pérec, avec sa malice coutumière, ne nous a pas caché quelques cagibis, quelques cabinets de toilette, quelques chambrettes même, où se passent là aussi des événements du quotidien, mais moins avouables peut-être. De même, mon journal du virus Garovirus ! [1] dissimule-t-il quelques entrées secrètes, que je n’avouerais qu’à mon journal véritablement intime, celui-là. Ou tout simplement à mes intimes, pourquoi pas.
[1]