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Procrastination

25 janvier 2013

Bref, tu n’as que trop tardé. Et, quoi qu’il sorte, que ça sorte, que ça s’éloigne, se mue, se retravaille, se façonne, se ponce, se lime. Dans le détail. Il faut du gros œuvre, une matière, argile un peu trop sèche et âpre sous les doigts, tu n’y pourras rien. Il faudra bien que ça sorte après tout.

Tu as peur de l’étron, je le vois, je le sens, du vomi, de la logorrhée. Mais ne vaut-il pas mieux ça que ce blanc ? Ce faux-semblant ?

Tu le sais, toi, tu le sais que tu procrastines, que tu ne veux rien.

Et chaque fois, tu constates le résultat : ces sourires multiples, ce ton inconstant, ce moteur diesel de la langue, qui met des semaines, des mois, à se mettre en branle, à se chauffer à la multitude des brouillons infâmes, étape que tu ne sais pas penser sans dommage — à ta confiance, à la qualité de ton produit — produit ! quel mot !

Bref, il faut se replonger dans le cambouis. Avancer, tant bien que mal. De quoi s’agit-il, déjà ? De quoi voulais-tu parler ?

Ton projet est à présent si loin, atiédé par le temps, qu’il nest plus que ce discours tout fait que tu ressors à l’envi — un peu à l’exemple de l’autre dans ses interviews.

Et pourtant, la substance est là, quelque part, enfouie. Il ne s’agit plus d’inspiration, mais d’archéologie ! Sortez les pelles et les truelles, les pinceaux et les brosses à dents ! Et dispersons ce sable, et déblayons cette terre, et époussetons cette poussière pour mettre enfin à jour l’artefact. (Et bien, tu vois, quand tu veux, quand tu te forces, ça peut parfois sortir, mais que d’efforts ! Que de rêves détruits !)

Reparcourir le chemin, mais en baissant les yeux, ne plus flâner le nez en l’air, mais scruter au contraire, pénétrer, laisser venir à soi le froid de la terre dans les semelles, les reliefs te mordent les cuisses à force d’arpenter, d’user les sols, de cette petite, si petite, parcelle de littérature dont tu voudrais excaver à coups répétés de mots et de verbes les vestiges, les ruines bien cachées sous les sédiments de l’idée originale, qui, un soir de hasard, t’a frappé l’esprit.

Encore ! Cesse cette lourdeur du langage, cet apitoiement sur toi-même qui sourd de chaque phrase, de chaque tournure compliquée à l’extrême — masturbation intellectuelle, pour le coup délétère celle-là.

Bref, quand retourneras-tu vers ces lointains rivages, où elle t’attend, toi, elle t’attend pour faire ou ne pas faire son deuil. Il te faudrait te replonger dans tes notes, y trouer un fil plus lâche que les autres, et tirer. Ce serait une amorce, un (re)commencement.

Alors quoi ? L’appartement ? Le restaurant ? Le bar ? Les rejetons ? L’un après l’autre, calme toi. Une chose après l’autre : ce n’est pas si lourd, ce n’est pas si vaste, et le bâti n’est pas enfoui bien profond.

Que d’admiration pour ceux-ci ! Ceux-ci qui chaque jour ne se laisser détourner que pour mieux se faire surprendre par le réel et son expression ! Que ne suis-je comme eux ? Ces entreprenants ? Ces concrétiseurs ?

Il faut me pousser au cul : ce n’est pas ainsi que j’écrirai un chef-d’œuvre immortel ! (Immortel, quel drôle de mot ! Le chef-d’œuvre que je porte en moi serait tout autant immortel dans son irréalité non dite que couchée sur le papier. Moins gratifiante, certes, et moins lucrative — et encore)

Et voilà : tu t’es interrompu dix minutes à peine et le flot s’est tari. Ton regard flotte devant toi, flâne de beautés fanées en petite chose à peine nubile. [1]

Ah ! Si je n’avais cette page à finir ! Si je n’avais ces règles idiotes ces exigences malvenues, peut-être...

Quelle horreur, en effet, que ce tics de ponctuation : avatar écrit des tics de langage, ils ne sont pas moins irritants que leurs cousins, hélas. S’astreindre à l’épure, à la réserve ponctuative. À l’avenir. [2]

[1Tu te souviens du petit texte que tu as écrit ici ? C’est toujours la même patronne... Cheveux plus courts (carré blond), visage fatigué, ventre un peu plus rond, pas beaucoup plus sympathique ’abord, mais toujours un goût très sûr dans son choix de serveuses et dans ses exigences de dress-code pour icelles (Ah ! Icelles ! Voilà un mot qu’il conviendrait de remettre à la mode !)

[2L’exercice de Beaucoup de chance Malgré tout ne sera peut-être pas perdue en ce sens : cette contrainte à l’appauvrissement du langage, du vocabulaire, ces entorses volontaires maladroites à la syntaxe.



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