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Bien agiter avant de servir — Servir très frais !

8 juin 2010

Episode XII

Mais avant. Avant l’urgence, avant le mur, avant la séparation. Avant. Avant, on croyait qu’on pouvait aller toujours de l’avant. Etendue vierge et plombée de soleil — sans un footballeur en vue, si-si, même là-bas, c’était possible. Une caravane s’avançait, ignorante des massacres anglo-zoulous. Avant, c’était l’immensité du veld et des gazelles vertes, parcourue par une expédition digne de tous les mythes — avec en outre, pour qui s’ennuierait de tant de majesté, un petit Roméo ramoneur et une petite Juliette bergère charmante et blonde. Et c’était le rêve qui sourdait du soleil alourdi comme un corps las. Prisme malaisé d’un regard intense et d’une plume sur laquelle passe Jason et ses amis, ses enfers et aucun de ses retours.

Est-ce leur fils, à ces malheureux amants, cousins lointains éloignés de Vérone ? Est-ce leur fils que l’on voit là chevauchant sur le flanc nu et brûlé de soleil vers le col désert ? Est-ce leur fils, qu’ils auraient abandonné au aléas d’une mort subite et certaine mais qui, recueillis, irait assister à la chute qu’il appelait secrètement de ses voeux ? Est-ce leur fils qui arrive jeune officier — et partira général (promu par bonne conduite et ancienneté) lors que l’ennemi sera à nos portes ? Est-ce ce fils noiraud qui manquera sa vie sur un cheval fourbu, caché derrière son col timide observant à l’horizon un point incertain fumant et fulminant dans l’air troublé de chaleur ?

Ah ce serait bien si ça pouvait être vrai, si ça pouvait être ainsi à chaque fois — comme là cet amour impossible sous le ciel d’acier — : un repère, un signe, un symptôme qui ne trompe pas. Ainsi de la certitude, c’est bien celui-là, j’ai perdu mes ailes ! Si l’on pouvait savoir à quoi l’on ressemblera dans cinquante ans, ce qu’on sera, baveux, vieux con (l’âge ne fait, parait-il, rien à l’affaire) ; si l’on pouvait à chaque marche rêver un peu à un ailleurs sans queue ni tête ; si l’on pouvait s’inventer des inventions véritablement (in)utiles ; si la musique était réellement cet océan qui nous balaye, nous raz-de-mare au canard...

Bon, sinon, on sait pas trop ce qu’il fout là, ce lapin. Fluo de surcroit. On aimerait savoir comment il atterrit là et ce qu’il a à voir avec vaches et développement durable, définitivement malaimé de tous. Que voulez-vous, fluo, on ne peut plaire à tout le monde. Rien n’est moins sûr. Pas de sexe —je veux dire incertitude sexuelle, du sexe, il y en a, bien sûr, plein les doigts. Des vieux, des gris-gris, des barbus de Guernesey aussi. Y a tout ça. Mais ça n’explique pas. D’ailleurs qui voudrait savoir ? Qui voudrait être certain de pareille interrogation — il n’aurait plus qu’à aller se foutre en l’air, le pauvret.

On n’aurait plus même le refuge d’un nid douillet. Non, on a besoin de diktats qui ne nous satisfont pas. D’opinions venus d’autorités sciés sans science, d’ordres de droit divin (pair, rouge et passe). Ce serait plus simple, non ? Pas besoin de décider, plus besoin de réfléchir plus qu’on ne le demande — coiffure, vêture, et comploture, naturellement. On ne serait pas si on ne complotait pas — on en serait réduit à répondre — retour case départ, sans toucher vingt mille francs — pauvre de nous. Autant rejouer, faire un double, retrouver un lapin, un nid douillet, très peu pour moi. Certains me diront : "les joies du ski !", je leur réponds : "Certes, mais quid de ma boule de cristal ? de mon lit et de mes draps froids ? de mes pieds qui me font si mal ? Et de ma couronne de Roi ?"



Dernier ajout : 20 mars. | SPIP

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